Technicien contrôlant le fonctionnement d'une installation de panneaux solaires avec un testeur de Fluke.

Distribution électrique : pourquoi envisager de passer du courant alternatif au continu

  • Actuellement, l’électricité est généralement produite de façon centralisée. Elle est ensuite distribuée aux consommateurs en courant alternatif.
  • Certains appareils fonctionnent directement en courant alternatif (AC): appareils de chauffage (four, fer à repasser…), d’éclairage (lampe à incandescence, tubes luminescents) ou les équipement à moteur (machine à laver, réfrigérateur, mixeur, perceuse…)
  • Mais de nombreux appareils électroniques, tels que les ordinateurs ou les téléviseurs, opèrent en courant continu (DC). Ils sont alimentés par le biais d’un transformateur interne ou externe qui convertit le courant alternatif délivré par le secteur électrique en courant continu.
  • Eric Van Riet,  responsable de l’équipe Application et Technologie chez Fluke, explique pourquoi le courant continu jouera probablement dans les années à venir un rôle prépondérant dans la génération et la distribution d’électricité.

 
L’infrastructure électrique actuelle repose sur une technologie à courant alternatif dont les bases ont été posées il y a bien plus de 50 ans. Tout va très vite au 21ème siècle, mais nous dépendons encore de commutateurs mécaniques, optimisés par des composants électroniques. Nous utilisons toujours des transformateurs, des lignes électriques et des circuits de sécurité, et les évolutions des infrastructures ont été très modestes. Cela ne pourra pas durer.

Des câbles toujours plus nombreux et plus épais

Si la technologie existante ne change pas, le premier choix possible, pour que l’on puisse générer et distribuer davantage d’électricité, consiste à tirer davantage de câbles de plus grande section dans le réseau enterré et à ajouter des transformateurs en surface. Dans la pratique, ce sera très compliqué dans le cadre du système actuel, car il n’y a tout simplement pas assez de câbles, ni de main-d’œuvre et pas suffisamment de place.

Test d'une borne de recharge électrique par un testeur de Fluke
Les bornes de recharge  délivrent un courant alternatif (AC) qu’un transformateur embarqué dans les véhicules électriques convertit en courant continu (DC) afin de recharger leur batterie.

D’autre part, cette solution n’est pas très efficace. Il suffit de voir les problèmes relatifs à la mise en place d’une infrastructure de borne de recharge de véhicule électrique pour se rendre compte qu’il est quasiment impossible d’étendre l’infrastructure de câblage pour répondre à la demande. Par exemple, on estime que pour mettre en place une infrastructure énergétique viable d’ici 2050 rien qu’aux Pays-Bas, il faudrait installer de 60 000 à 80 000 kilomètres supplémentaires de câbles à haute tension et entre 8 000 et 13 000 nouveaux transformateurs.

Le modèle actuel repose sur la génération centralisée de l’électricité qui est ensuite distribuée à la population. Ainsi, une centrale nucléaire située au sud de l’Angleterre peut très bien alimenter des consommateurs en Écosse, par exemple. Toutefois, il est clair pour tous que ce modèle n’est pas raisonnable et qu’il faut repenser aussi bien la production que la distribution de l’électricité.

Rompre avec le courant alternatif

La deuxième options possible repose sur une proposition tout aussi ahurissante que pour la première : rompre avec le courant alternatif et utiliser le courant continu directement, tant dans les usines que chez les particuliers.

En d’autres termes, les réseaux en courant continu, notamment à petite échelle et en sous-distribution, ont vocation à se développer considérablement à l’avenir. Le courant alternatif ne disparaîtra jamais totalement, car il y aura toujours des scénarios où il est incontournable, mais les experts ont déjà formé des comités pour discuter de ce qui était considéré comme impensable jusqu’à présent. Par exemple, la fondation Current/OS a pour vocation de développer un système à standard ouvert de distribution de courant continu qui améliore la résilience, la durabilité et la sécurité.

L’idée d’un basculement massif vers le courant continu fait indéniablement son chemin, même si les coûts et la logistique pour ce faire sont impossibles à évaluer. Point positif, cette substitution éviterait les conversions à répétition de l’alternatif au continu et inversement. Ces conversions entraînent toujours des pertes considérables d’énergie pour une efficacité loin d’être optimale.

La sécurité est le premier obstacle au basculement vers une infrastructure en courant continu : quelles mesures de sécurité, quels types de commutateurs et quels éléments d’électronique de puissance seraient nécessaires ?

Par exemple, si un court-circuit se produisait sur une ligne en alternatif, un disjoncteur couperait l’alimentation et éviterait tout problème de sécurité majeur. Le problème est que cela ne fonctionnerait pas sur une ligne en continu où le court-circuit persisterait. Ce qui pourrait entraîner de graves conséquences. Par conséquent, il faudrait remplacer la partie mécanique des commutateurs pour s’adapter à une infrastructure majoritairement en continu.

À vrai dire, il faudrait changer quasiment tout dans la base installée existante… sauf les câbles, qui peuvent rester en place, à condition de faire les bons arbitrages en termes de niveaux de tension continue. Cette possibilité est débattue activement dans différents comités de la CEI.

Test d'une installation de panneaux photovoltaïques avec un testeur de Fluke.
Les panneaux solaires ou photovoltaïques produisent un courant électrique continu qui est convertit en courant alternatif par un onduleur.

Moins de perturbations électriques

Le point positif est que la plupart des alimentations d’appareils électriques grand public intègrent des redresseurs de courant alternatif pour délivrer un courant continu. Si l’électricité était fournie en courant continu, tous les circuits frontaux de ce type d’alimentation deviendraient superflus. Ce qui conduirait à une alimentation plus efficace présentant moins de perturbations.

D’un point de vue technique, le courant continu est sans aucun doute une bonne idée, même si l’impact d’un bouleversement aussi radical serait considérable. L’infrastructure reste à créer et les installateurs n’ont ni les connaissances, ni l’expérience indispensables pour mettre en place un réseau électrique en courant continu. En réalité, les compétences nécessaires à ce changement n’existent pas encore.

C’est pourquoi le basculement pourrait prendre 20 ans, afin de donner aux établissements d’enseignement, du primaire à l’université, le temps nécessaire pour développer les compétences et assurer les transferts de connaissances requis dans un contexte qui serait dominé par le courant continu.

Du point de vue de l’électrification, le basculement se fera parce que les avantages sont indéniables : l’infrastructure en courant continu connaîtra moins de perturbations, moins de pertes et sera plus efficace pour la distribution de puissance.

Pour conclure, si un changement est inévitable, les deux systèmes d’alimentation, alternatif et continu, vont coexister pendant au moins une génération, car les deux ont leur raison d’être. Au cours des cinq ou dix premières années, la plupart des modifications se feront à petite échelle, au niveau de composants industriels spécifiques, voire de petites communautés ayant opté pour une énergie renouvelable, le plus souvent en photovoltaïque.

Rompre définitivement avec le courant alternatif ne se produira probablement que dans 20 ou 30 ans, lorsque le marché sera arrivé à maturité et viable. D’ici là, lorsque les disjoncteurs, qui sont traditionnellement mécaniques, seront entièrement remplacés par des équivalents à semi-conducteurs, les instruments de test et de mesure d’entreprises devront également être entièrement repensés.